L’origine d’un classement unique en Champagne

À la différence de la Bourgogne ou du Bordelais, où le classement distingue propriétés ou parcelles, la Champagne a opté pour une approche centrée sur le village d’origine du raisin, que l’on appelle ici “commune” ou “cru”. Ce fameux système dit “Échelle des Crus” est emblématique de cette région viticole et a longtemps fixé les bases de la valorisation et du prix du raisin.

  • L'Échelle des Crus, instaurée officiellement en 1911 (réactualisée en 1920), évaluait la qualité de chaque village producteur sur une échelle de 80 à 100% (source : Comité Champagne). Seuls les villages crédités de 100 % ont été déclarés “Grand Cru”, ceux notés entre 90 et 99% ont reçu l’appellation “Premier Cru”.
  • Ce classement, qui servait initialement d’outil de fixation du prix du raisin (le pourcentage correspondant à une fraction du prix maximal fixé par l’interprofession), a structuré toute l’économie champenoise.
  • À partir des années 1990, la fixation stricte des prix sur l’Échelle n’a plus cours, mais les mentions “Premier Cru” et “Grand Cru” restent des repères prestigieux.

Ce système reste aujourd’hui une singularité mondiale et contribue à forger le mythe entourant les villages auréolés de ces classements.

Quels villages bénéficient des classements Premier Cru et Grand Cru ?

La Champagne compte près de 320 villages viticoles : tous ne bénéficient pas de ces mentions.

Appellation Nombre de villages Répartition géographique
Grand Cru 17 Montagne de Reims, Côte des Blancs, et quelques-uns à la Vallée de la Marne
Premier Cru 42 Surtout Montagne de Reims et la vallée de la Marne, quelques-uns dans la Côte des Blancs
  • Grands Crus :
    • Principaux villages : Ambonnay, Avize, Aÿ, Bouzy, Cramant, Le Mesnil-sur-Oger, Mailly-Champagne, Oger, Verzenay… (voir liste officielle sur le site du Comité Champagne)
    • Soit moins de 9% de la surface totale du vignoble champenois !
  • Premiers Crus :
    • Parmi les plus connus : Chigny-les-Roses, Hautvillers, Dizy, Cumières, Vertus, Mareuil-sur-Aÿ, Villers-Marmery, Ludes…
    • Ils couvrent environ 18% de la surface viticole.

Les restantes 261 communes ne sont ni Premier Cru ni Grand Cru, mais elles produisent aussi d’excellents champagnes sous la simple mention “Champagne”.

Quels critères déterminent ce classement ?

Contrairement à une idée reçue, il ne s’agit pas d’une hiérarchie “absolue” de qualité des vins produits, mais du potentiel qualitatif des raisins issus des sols, expositions, microclimats et traditions viticoles de chaque village.

  • Nature des sols : Les Grands Crus se trouvent sur les terroirs crayeux réputés donner beaucoup de pureté, de finesse et d’énergie, notamment sur la Côte des Blancs (idéale pour le Chardonnay).
  • Exposition au soleil et altimétrie : Les meilleures pentes, bien orientées pour assurer une maturation optimale des raisins.
  • Historique de la qualité : Un classement fortement influencé par la réputation acquise au fil des siècles, notamment par les grandes Maisons.
  • Potentiel de vieillissement : On considère généralement que les raisins issus des Grands Crus vieillissent mieux en cave, donnant des champagnes aptes à la garde.

Le classement ne prend pas en compte la gestion actuelle de chaque parcelle ni le talent de chaque vigneron. À noter également : seuls les vins issus exclusivement de raisins récoltés sur ces villages peuvent porter la mention Premier Cru ou Grand Cru sur la bouteille.

Comment cela s’exprime-t-il dans le verre ?

Au fil des dégustations, certaines tendances se dégagent entre champagnes Premier Cru et Grand Cru, mais les différences tiennent aussi beaucoup au style du producteur et à la cuvée.

  • Champagnes Grand Cru :
    • Souvent, un supplément de minéralité, de longueur et d’intensité aromatique.
    • Des textures plus ciselées, une grande pureté, et une aptitude à la garde remarquable.
    • Il existe une véritable diversité entre Grands Crus : Avize et Cramant (Côte des Blancs) offrent des champagnes aériens et d’une pureté cristalline ; Bouzy ou Ambonnay (Montagne de Reims, terres de Pinot Noir) livrent des vins puissants, vineux et structurés.
  • Champagnes Premier Cru :
    • Excellentes matières, souvent sur la rondeur, parfois plus gourmandes et accessibles plus vite.
    • Des villages comme Cumières, Mareuil-sur-Aÿ ou Vertus ont construit leur réputation sur des blancs de noirs à la belle fermeté ou des blancs de blancs raffinés.
    • L’expression Premier Cru assure globalement une certaine signature de finesse, mais le spectre de style est très large.

À caractéristiques égales, le Grand Cru a théoriquement un potentiel plus élevé de longévité et de raffinement, mais nombre de Premiers Crus rivalisent aujourd’hui avec certains Grands Crus en termes de plaisir et de complexité.

Questions fréquentes et idées reçues : démêler le vrai du faux

  • Grand Cru = meilleur ? Pas systématiquement. Ce classement signale un potentiel, pas une garantie absolue de qualité : tout dépend du travail du vigneron, de l’assemblage et du millésime. Plusieurs Premiers Crus rivalisent (voire surpassent) certains Grands Crus grâce à une viticulture et une vinification soignées.
  • Premier Cru, un cran en dessous ? Ce sont souvent d’excellents terroirs, qui donnent des styles variés et parfois plus ouverts dans leur jeunesse. Certains villages Premier Cru sont parfois préférés pour l'élégance de leur fruit.
  • Les autres villages sont-ils à éviter ? Non, beaucoup de très beaux champagnes naissent hors classification Premier/Grand Cru. Parfois, la mention “village” garantit plus d’authenticité et de typicité que l’étiquette de classement.
  • Peut-on comparer avec la Bourgogne ? Non, car ici, c’est le village dans son ensemble, et non la parcelle, qui est classé. Un Grand Cru de Chablis ou de la Côte de Nuits n'a donc pas tout à fait la même signification que son alter ego en Champagne.

Source : “Le guide des vins de Champagne”, Gault & Millau ; Site du Comité Champagne.

Comment reconnaître Premier Cru et Grand Cru sur une étiquette de champagne ?

  • La mention “Grand Cru” ou “Premier Cru” doit figurer clairement sur l’étiquette, et n’est valable que si 100 % des raisins proviennent exclusivement d'une ou plusieurs communes classées.
  • Les producteurs peuvent également préciser le nom du village (ex : « Grand Cru d’Aÿ » ou « Premier Cru de Vertus »), souvent gage d’une démarche de mise en valeur du terroir.
  • Attention : une maison peut assembler différents villages Premier Cru pour sortir une cuvée “Premier Cru”, mais jamais mélanger Grand Cru et Premier Cru tout en revendiquant “Grand Cru”.

La réglementation en Champagne demeure assez stricte sur ce point afin de protéger ces dénominations. Certains vignerons jouent cependant la carte de la parcelle unique (nommée “lieu-dit”), mais c’est alors le nom du village qui garantit encore la mention du classement.

Impact du classement sur le prix des champagnes

Le prestige des Grands Crus – moins de 10% de la production totale champenoise – fait que ces cuvées atteignent souvent des sommets tarifaires. Mais le rapport prix/plaisir n’est pas toujours automatique.

  • En moyenne, un Grand Cru coûte 20 à 35 % plus cher qu’un Premier Cru équivalent, principalement en raison de la petite taille de ces crus et du prestige (source : Revue du Vin de France).
  • Certains Premiers Crus réputés (comme Cumières, Vertus, Mareuil-sur-Aÿ) affichent toutefois des prix identiques à certains Grands Crus moins médiatisés.
  • Les “cuvées de prestige” des grandes maisons utilisent quasi-exclusivement ces villages classés Grand Cru ou Premier Cru.

Vers de nouvelles lectures du terroir champenois

Si les mentions Premier Cru et Grand Cru restent des marqueurs identitaires forts, on assiste depuis quelques années à un regain d’intérêt pour la singularité des “lieux-dits”, des micro-parcelles ou la notion de “parcelle classée” sans classement officiel (à l’image de la viticulture bourguignonne). Plusieurs vignerons revendiquent l’origine parcellaire, parfois plus parlant que la seule hiérarchie Premier/Grand Cru.

Enfin, la diversité des terroirs et l’évolution des pratiques viticoles (agriculture biologique, biodynamie, vinifications sans dosage…) invitent aujourd’hui à dépasser la simple lecture du classement. L’excellence en Champagne n’est plus la chasse gardée de quelques villages mais s’incarne aussi dans le geste vigneron, la maîtrise des assemblages et la quête d’expressivité du terroir.

Références complémentaires :

  • Comité Champagne : Official List of Crus
  • Gault & Millau, guide 2023, section “Terroirs en Champagne”
  • Revue du Vin de France, dossier “Champagne, les nouveaux défis du classement” (novembre 2022)

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