Origine et sens du mot “Cru” : racines du terroir champenois

En Champagne, le mot “Cru” désigne, dans son sens le plus pur, une localité ou un village viticole, défini par son terroir, son exposition, son sol et son climat. Chaque cru possède son identité propre, façonnée au fil des siècles par la géographie et le savoir-faire local. Le terme est issu du verbe “croître” : le cru est donc d’abord ce qui pousse, ce qui exprime. C’est un mot commun à toute la viticulture française, mais il prend en Champagne une importance singulière, liée à l’histoire du classement des villages.

La Champagne compte au total 319 crus (communes viticoles officiellement délimitées, source : Comité Champagne). Cependant, toutes ne bénéficient pas du même statut dans la hiérarchie des crus : c’est là qu’interviennent les mentions “Premier Cru” et “Grand Cru”.

La naissance du classement des crus : histoire singulière de la Champagne

L’histoire des mentions “Premier Cru” et “Grand Cru” remonte au début du XX siècle. À cette époque, le prix du raisin varie fortement selon la réputation des villages. Pour harmoniser ces rapports et garantir une certaine équité, un classement officiel voit le jour en 1911, appelé l’échelle des crus. Ce système attribue à chaque village une note de 80 à 100%, déterminant le prix auquel les maisons de champagne achètent le raisin de chaque cru.

  • 100% : villages classés Grand Cru
  • 90-99% : villages classés Premier Cru
  • 80-89% : autres crus, sans mention spéciale

Ce classement ne concerne donc pas les parcelles ni les vignerons, mais bien l’ensemble d’une commune. Contrairement à la Bourgogne, où chaque parcelle peut être un cru, en Champagne le classement est donc “collectif” : tous les raisins récoltés dans un village Grand Cru sont officiellement de qualité Grand Cru, quel que soit le producteur.

L’appellation “Grand Cru” n’a été autorisée sur les étiquettes qu’en 1935 ; pour “Premier Cru”, il faudra attendre 1985. Ces dénominations sont devenues, depuis, de véritables repères de qualité pour les consommateurs.

Grand Cru et Premier Cru : une élite géographique

Parmi les 319 crus de la Champagne :

  • 17 villages seulement détiennent le statut de Grand Cru
  • 44 villages bénéficient du statut de Premier Cru

Ces localités se répartissent principalement dans quatre grandes régions :

  • La Montagne de Reims (ex : Ambonnay, Bouzy)
  • La Côte des Blancs (ex : Avize, Cramant, Mesnil-sur-Oger)
  • La Vallée de la Marne (ex : Aÿ, unique Grand Cru de la vallée)
  • La région de la Grande Vallée de la Marne

Ces villages sont réputés pour la qualité de leur terroir : sols crayeux, exposition idéale et climat permettant une maturité optimale du raisin. Leur notoriété n’a pas faibli : aujourd’hui encore, leur nom fait figure de référence.

Quelles différences de goût et de style sur le champagne ?

Si les champagnes portant la mention “Grand Cru” ou “Premier Cru” partagent un prestige, ils offrent aussi des caractéristiques gustatives distinctes.

  • Les Grands Crus sont souvent reconnus pour leur puissance, leur finesse aromatique et leur potentiel de garde. Par exemple, les villages Grand Cru de la Côte des Blancs, à majorité chardonnay, donnent des champagnes minéraux, ciselés et élégants, tandis que ceux de la Montagne de Reims (principalement pinot noir) offrent structure et profondeur.
  • Les Premiers Crus allient complexité et équilibre, parfois avec une palette aromatique un peu plus large, mais généralement une intensité légèrement moindre que les Grands Crus.
  • Un champagne sans mention de cru, issu de parcelles hors villages classés, peut tout à fait atteindre des sommets d’élégance — preuve que l’art du vigneron joue un rôle tout aussi essentiel que la seule origine du raisin.

Il convient toutefois de rester nuancé : la notion de cru ne garantit pas à elle seule la qualité du vin final. Comme le souligne Georges Barat, ancien président de l’Union des œnologues de France, “Le classement du cru est remarquable, mais rien ne remplace la main et le savoir du vigneron”.

Mentions sur les étiquettes : comment les lire ?

La mention “Grand Cru” ou “Premier Cru” est réglementée (source : Comité Champagne) :

  • Un Champagne Grand Cru doit être issu à 100% de raisins récoltés dans les 17 villages classés Grand Cru.
  • Un Champagne Premier Cru est élaboré uniquement à partir de raisins cultivés dans l’un ou plusieurs des 44 villages Premier Cru.
  • Si la vendange assemble des raisins provenant à la fois de villages classés et non classés, la mention ne peut figurer sur la bouteille.

Les étiquettes qui affichent fièrement ces mentions donnent aussi parfois le nom du village (“Chouilly Grand Cru”, “Verzy Grand Cru”...) mais ce n’est pas une obligation réglementaire, d’où la nécessité de maîtriser la carte des crus si l’on veut enquêter plus loin sur l’origine !

Place dans la hiérarchie champenoise et perception par le marché

En termes d’image et de prix, les cuvées Grand Cru occupent souvent le sommet. Quelques faits marquants :

  • Environ 12% de la surface viticole champenoise bénéficie du statut Grand Cru (source : La Revue du Vin de France).
  • Le prix moyen du kilo de raisins Grand Cru oscille autour de 7 à 8 €, contre 5 à 6 € pour le Premier Cru, selon les années (chiffres CIVC 2022).
  • Moins de 10% des champagnes commercialisés portent la mention Grand Cru.

Pour autant, le prestige du Grand Cru s’accompagne parfois d’une certaine spéculation et, il faut le dire, d’effets de mode. Certaines maisons choisissent aujourd’hui de mettre en avant des cuvées “parcellaires”, parfois en dehors des villages classés, revendiquant l’authenticité du lieu plus que la pure hiérarchie historique.

Anecdotes et évolutions : des villages qui montent, des frontières qui bougent

Si la carte des crus est relativement stable, elle a connu quelques modifications au fil du temps :

  • En 1985, lors de la dernière révision, quelques villages Premier Cru ont vu leur note modifiée à la hausse ou à la baisse.
  • Oiry est le dernier village à avoir été promu Grand Cru, en 1985.
  • Le village de Chouilly, classé Grand Cru pour ses chardonnays uniquement, mais non pour le pinot noir récolté sur ses terres.

Certains vignerons militent aujourd’hui pour une approche plus précise, à la parcelle, s’inspirant parfois du modèle bourguignon. On voit également l’émergence de micro-cuvées mettant à l’honneur un “lieu-dit” ou une parcelle singulière, y compris dans des crus non classés, une façon de remettre le terroir au cœur du débat, au-delà du prestige de l’appellation.

L’essence du terroir avant tout

Mieux comprendre les mentions “Cru”, “Premier Cru” et “Grand Cru” sur une bouteille de champagne, c’est se donner la clé pour explorer la diversité de la Champagne. Ce système de classement raconte la quête ancienne de reconnaissance du terroir, tout en reflétant les évolutions de la viticulture, du marché et du goût.

Retenir que ces mentions sont un indicateur fiable, mais non une vérité absolue : la richesse de la Champagne, c’est aussi la capacité des vignerons à révéler, par leur vision et leur technique, l’âme de chaque parcelle — chapeautée ou non par le prestige du cru.

Pour aller plus loin, n’hésitez pas à consulter la carte officielle des crus et, bien entendu, à comparer en dégustation. Rien ne remplace le verre pour saisir l’esprit d’un terroir.

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