1. La vendange : le choix du moment décisif

La première étape de la vinification du champagne débute dans les vignes, souvent dès la deuxième quinzaine de septembre. Ici, le temps impose sa loi : la vendange ne peut s’effectuer qu’à la main (Champagne.fr), afin de préserver l’intégrité des baies et éviter tout risque d’oxydation ou de coloration prématurée des jus.

  • Tri sévère des grappes dès la cueillette : seules les baies saines et mûres, issues principalement du Pinot noir, du Chardonnay et du Meunier, sont retenues.
  • Pressurage rapide pour limiter la macération, en particulier pour les cépages noirs, afin de conserver la fraîcheur et la finesse des jus clairs.
  • Rendement strictement réglementé : 102 litres de jus maximum pour 160 kg de raisins récoltés.

Ce respect du rythme naturel et des exigences qualitatives est déjà un marqueur majeur de l’excellence champenoise.

2. Le pressurage : la recherche du jus le plus pur

Dès leur arrivée au pressoir, les raisins sont délicatement pressés. Contrairement à d’autres régions, la Champagne pratique un fractionnement minutieux du jus :

  • Cuvée : les 20,5 premiers hectolitres issus des 4 000 kg de raisins. Son jus est le plus fin, le plus riche en sucre et en acide tartrique.
  • Taille : les 5 hectolitres suivants, plus colorés et moins acides.

Traditionnellement, ce fractionnement se faisait sur des pressoirs horizontaux de type Coquard, même si aujourd’hui les pressoirs pneumatiques sont très répandus.

3. Débourbage et fermentation alcoolique

Avant d’être transformé en vin, le moût doit reposer de 12 à 24 heures pour permettre aux particules solides de se déposer : c’est le débourbage. Puis, place à la fermentation alcoolique :

  • Débourbage : clarification naturelle ou assistée, pour retirer bourbes et impuretés susceptibles de donner des faux goûts.
  • Fermentation alcoolique : une première fermentation, généralement en cuves inox thermo-régulées, bien que certains élaborateurs choisissent la fermentation en fût. Les levures transforment le sucre en alcool et en CO.
  • Température contrôlée entre 16 et 18°C pour préserver les arômes primaires (fleurs, fruits frais).

Il en résulte un "vin clair", qui n'a rien de pétillant. Un détail qui surprend souvent : chaque parcelle et chaque cépage sont vinifiés séparément, pour offrir au chef de cave une palette d’expression maximale à l’étape suivante.

4. La fermentation malolactique (facultative)

Certaines maisons choisissent de réaliser une fermentation malolactique, qui transforme l’acide malique (acide des pommes) en acide lactique (plus doux). Cela confère au vin une texture plus ronde et moins tranchante, mais fait perdre un peu de vivacité.

Aujourd’hui, environ 70 à 80% des champagnes subissent cette opération (Vins & Champagne).

5. Assemblage : l’art et la signature du champagne

C’est l’un des fondements du style champenois : la production de vins d’assemblage. À partir de plusieurs centaines de vins clairs (différents cépages, terroirs, années), le chef de cave compose la future cuvée.

  • Assemblage de cépages : Chardonnay apporte finesse, Pinot noir charpente, Meunier fruité et rondeur.
  • Assemblage d’années : pour les non-millésimés, l’ajout de vins de réserve (conservés en cuve ou en fût) assure la constance du goût.
  • Les cuvées millésimées, issues d’une seule récolte exceptionnelle, sont plus rares (environ 10% de la production annuelle, source : Champagne.fr).

Cette étape détermine tant le style de la maison que la qualité du futur champagne. C’est aussi le moment où certains champagnes recevront la liqueur de tirage — du sucre et des levures — pour l’étape cruciale suivante.

6. Tirage et prise de mousse : naissance de l’effervescence

Le "tirage" consiste à mettre en bouteille le vin tranquille, en y ajoutant liqueur de tirage et levures sélectionnées. La seconde fermentation, dite "prise de mousse", se fait cette fois en bouteille, scellée par une capsule provisoire.

  1. Ajout de la liqueur de tirage : mélange de sucre de canne et de levures actives.
  2. Mise en bouteilles, puis stockage horizontal ("sur lattes") en cave fraiche (entre 10 et 12°C).
  3. Seconde fermentation, durant 6 à 8 semaines : le sucre est transformé en alcool et en CO, qui ne peut s’échapper – d’où les bulles.

La pression dans la bouteille atteint jusqu’à 6 bars, équivalent à deux fois celle d’un pneu de voiture. D’où la nécessité du verre épais !

7. Maturation sur lies : la patience, garante de complexité

Après la prise de mousse, le champagne entame une période de vieillissement sur ses lies (dépôts de levures mortes). C’est ici que le vin gagne en complexité aromatique, en finesse de bulle et en toucher de bouche.

  • Minimum légal pour un brut sans année : 15 mois sur lies (donnée obligatoire, Champagne.fr).
  • Pour un millésime : 36 mois au minimum, bien souvent plus chez les grandes maisons ou vignerons exigeants.
  • Durant cette phase, des arômes spécifiques (brioche, noisette, beurre) se forment grâce à l’autolyse des levures.

Certaines cuvées prestige patientent dix ans, parfois plus, avant d’être dégorgées ! Cette patience est un luxe qui distingue les champagnes les plus complexes et racés.

8. Remuage et dégorgement : la clarté retrouvée

La seconde fermentation laisse un dépôt dans la bouteille. Pour clarifier le champagne, on pratique le remuage : chaque bouteille est doucement tournée et inclinée, à la main (sur pupitre) ou mécaniquement (gyropalette), pour amener le dépôt dans le col.

  • Remuage manuel : environ 6 semaines pour une rotation lente et régulière.
  • Remuage mécanique : 7 à 10 jours avec la gyropalette, invention champenoise des années 1970 (source : CIVC).

Le dégorgement consiste à expulser ce dépôt par congélation du col (dégorgement à la glace), une opération spectaculaire qui ne dure que quelques secondes. Environ 80 % des champagnes sont aujourd’hui dégorgés à la glace ; certains passionnés pratiquent le dégorgement à la volée.

9. Dosage et bouchage : la touche finale

Juste après le dégorgement, il faut compléter le volume manquant dans la bouteille : c’est la liqueur d’expédition (ou de dosage), un mélange de vin de réserve et de sucre. Cette dernière étape définit le style du champagne :

  • Brut nature : pas ou très peu de sucre ajouté (< 3g/L).
  • Extra-brut, brut, sec, demi-sec : du moins au plus sucré (jusqu’à plus de 50g/L pour certains demi-secs destinés aux desserts).

Les flacons sont ensuite obturés par le célèbre bouchon de liège maintenu par un muselet, et subissent un court repos appelés "congé" avant la commercialisation.

De la vigne à la joie de la bulle : une alchimie vivante

De la vigne à la flûte, la vinification du champagne est une succession de choix minutieux, de gestes précis et de temps long. Chacun des 300 millions de bouteilles produites chaque année porte, en son sein, les traces de cette histoire, entre tradition et innovation. Comprendre ces étapes, c’est aussi mieux savourer chaque coupe, conscient de la virtuosité collective et du patient travail que nécessitent ces précieux effervescents.

Curieux d’approfondir ? Chacune de ces étapes a ses variantes et ses secrets : terroirs particuliers, choix du vieillissement, raretés comme le champagne rosé ou les cuvées parcellaires… Autant d’expressions à découvrir et à déguster, sans modération pour la connaissance !

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